138 av. J.-C., NO de l'Hispania ...



Decimus Junius Brutus marche avec ses troupes vers le nord, le long de la côte atlantique. Son objectif : mener une expédition punitive contre les habitants de la région que les Romains de cette époque appellent les Lusitaniens. En réalité, les soldats romains ne connaissent pas l’identité ethnique exacte de ces adversaires, qu’ils combattent jusqu’alors loin de leur terre natale. Sur le champ de bataille, ils ne voient que des guerriers armés d’un coutelas et de quelques javelots qui se ruent sur eux, à peine défendus par un petit écu, la caetra. Ils ont appris à leurs dépens qui faut se méfier des attaques inattendues et fulgurantes lancées par ces adversaires redoutables, qui préférent l’embuscade à la bataille frontale. Leur valeur militaire a été reconnue par le général Hannibal, qui les a employés comme mercenaires pendant la campagne italienne. Depuis cette époque, des hordes de guerriers descendent régulièrement vers le Sud de l’Hispania, pour piller les riches colonies de la province Ultérieure.

Les campagnes de pillage se succèdent jusqu’en 138 av. J.-C., année où Decimus Junius Brutus est nommé consul de la province ultérieure. Ce dernier a pour mission de mettre fin à la série de défaites infligées aux troupes romaines par les Lusitaniens. L’échec de ses prédécesseurs est dû en grande partie à la grande mobilité de ces guerriers, qui leur permet d’attaquer rapidemment et de disparaître immédiatement après. Le consul décide pour cela d’adopter une nouvelle stratégie que l’on dirait aujourd’hui de guerre préventive, attaquant leurs familles, dans le but de les obliger à retourner dans leur terre natale, afin de les défendre. Il monte sa base d’opération au bord du fleuve Tage, qui est alors la frontière entre le monde civilisé et le monde barbare. Il suit à partir de là le littoral en direction au Nord.

Quand son armée arrive sur les berges du Rio Lima, les soldats s’arrêtent et, effrayés, refusent de faire un pas de plus. Ils croient qu’ils se trouvent devant le mythique fleuve du Lethes et qu’au-delà s’étend l’Hades, c’est-à-dire le monde des morts de la mythologie romaine. Selon la légende, ceux qui buvaient l’eau de ce fleuve, oubliaient leur passé, perdant définitivement l’envie de retourner chez eux. Decimus Junius Brutus incite ses soldats à traverser le fleuve mais ces derniers refusent, par peur d’oublier leur patrie et leurs amis. Pour faire face à cette insurrection, le général retire des mains du signifer l’étendard de son détachement et traverse seul le fleuve, sous le regard admiratif de ses troupes. Cet acte de courage persuade les soldats à surmonter leur crainte et à traverser le Lima afin de suivre leur commandant.

Tapisserie de Almada Negreiros, représentant l'arrivée de Decimus Junius Brutus dans la vallée du rio Lima (1917).

Un siècle plus tard ...



Pourtant, l’expédition de 137 av. J.-C. ne marque pas le début de l’occupation romaine du NO péninsulaire. Ce n’était d’ailleurs pas l’objectif de cette opération. Il faudra attendre encore un siècle pour que la région soit intégrée dans l’Empire, probablement au temps des guerres du NO péninsulaire, qui se déroulent pendant les premières années du règne de l’empereur Auguste.

C'est à cette époque qu'est fondée Bracara Augusta, capitale du futur conventus bracarensis, qui s’étend entre le fleuve Douro et le sud de la Galice, région oú s'est déroulée un siècle auparavant une grande partie de la campagne militaire de Decimus Junius Brutus.

Les indigènes voient maintenant leur terre natale occupée par les ennemis qu’ils ont combattus pendant plus d’un siècle. S’ils veulent continuer à combattre, ils doivent s’enrôler dans les corps d’auxiliaires indigènes que les romains commencent à recruter dans la région. Le contact avec la culture romaine est maintenant plus direct et plus intense, ce qui provoque rapidement des changements significatifs du mode de vie des populations autochtones.


Vingt siècles plus tard ...



Tout comme leurs prédécesseurs romains, les archéologues ont mis un certain temps à saisir les différentes structures politiques et sociales des habitants de la région, les englobant dans un même ensemble culturel : la culture des castros. On désigne généralement par ce nom les agglomérations fortifiées indigènes de l’ensemble du NO péninsulaire.


Les synthèses qui ont été publiées au long des trente dernières années sur le thème de la culture des castros, apportent régulièrement des idées nouvelles qui enrichissent l’analyse de cette problématique. L’objet de cette étude ne se renouvelle malheureusement pas à la même vitesse. En effet, une partie substantielle de la documentation archéologique sur la quelle s’appuie la recherche, a été élaborée à la fin du XIXème siècle ou au début du siècle suivant. Une surface importante des grandes agglomérations de la région a alors été fouillée. Les plans, dressés à cette époque, ont révélé à la communauté scientifique de l’époque l’ampleur de certains de ces gisements. On ne connaît malheureusement pas le contexte stratigraphique de la plupart des artefacts provenant des fouilles de cette période, aujourd’hui conservés dans les musées portugais et galiciens. Il faudra en effet attendre la fin du vingtième siècle pour disposer de résultats d’interventions archéologiques effectuées selon les principes de la fouille stratigraphique. On privilégie à présent la lecture verticale par rapport à la lecture horizontale du gisement archéologique, le sondage étant préféré à l’intervention en surface, plus coûteuse en ressource et pour cela hors de portée des chercheurs locaux. À partir de la dernière décennie du XXème siècle, la généralisation des interventions de sauvetage menées à bien dans le cadre des grands chantiers de travaux publics redonne aux chercheurs l’opportunité d’effectuer des interventions qui permettent de concilier la lecture verticale et horizontale de ces gisements.


Chantier de l'autoroute IC1, 2004 ...



L’une de ces agglomérations indigènes, le Castro do Vieito, située au NO du Portugal, sur la rive droite de l’estuaire du Rio Lima, a ainsi été récemment affectée sur près des deux tiers de la totalité de sa surface (près de 15.000m2) par le corridor de l’Autoroute A28/IC1 (Viana do Castelo/Caminha), donné sous forme de concession à l’entreprise Euroscut SA par l’Instituto de Estradas de Portugal.

J’ai eu la chance d’assurer personnellement la direction de la fouille de la surface affectée par le corridor, donnée en adjudication à l’entreprise AMS – Análise e Consultadoria Arqueológica Ld.ª, dont je suis le gérant. Cette intervention s’est prolongée de Juin 2004 au mois de Juillet 2005.

Au long des trois années suivantes, cette entreprise a financé intégralement le travail de recherche que je disponibilise maintenant en ligne, celui-ci étant fondé sur les données recueillies au cours de cette intervention.

António José Marques da Silva, septembre 2009.


9/08/2009

Présentation du livre

L'ouvrage, maintenant en ligne, correspond à la dissertation de doctorat en Archéologie, que j'ai présenté en mars 2009 à l'université de Coimbra (Portugal).Comme le titre l’indique, il s'agit d'un portrait de la communauté villageoise qui a un jour habité le Castro do Vieito, établi à partir des résultats de l’intervention archéologique que j’ai menée sur ce gisement.

Une courte présentation introduit le premier chapitre intitulé « Les règles de l’art », qui traitent de questions méthodologiques posées au long du traitement de l'information archéologique issue de la fouille.

Les autres chapitres abordent différents aspects relatifs à la communauté étudiée.Dans le chapitre « Le village ou la structure d’un système complexe : la communauté villageoise », j’aborde la question de la relation qui existe entre la structure sociale et économique de la communauté et la structure spatiale de son habitat.

Le chapitre « Une identité en construction » présente certains aspects de la culture matérielle mis à jour durant la fouille et révélés par l’analyse du mobilier archéologique qui permettent de mieux cerner son importance comme vecteur de valeurs culturelles, indispensables à la construction de l’identité des villageois.

Le chapitre « Communauté et territoire » traite la difficile question des liens de la communauté villageoise avec son territoire et avec les autres communautés voisines.

Finalement, le chapitre « Appartenir à l’orbis Romarum » est une tentative de comprendre l’impact de l’occupation romaine de la région dans la vie quotidienne des villageois.

Aspect de la fouille du Castro do Vieito (2005).